Qu’est-ce que le droit au bail ?
Droit au bail : définition
Le droit au bail, élément isolé du fonds de commerce, est lié au bail commercial. En France, il lui est attaché un droit à renouvellement ou à indemnité d’éviction, qui génère une valeur patrimoniale à ce contrat.
Lorsqu’un exploitant cède son fonds, l’acheteur reprend nécessairement le bail sans que le propriétaire du local ne puisse s’y opposer. En effet, la cession de fonds de commerce n’est pas soumise à l’accord du bailleur, contrairement à la cession de droit au bail conditionnée à l’autorisation de propriétaire bailleur.
La valeur d’un droit au bail résulte de deux critères principaux :
- la qualité et la rareté de l’emplacement,
- l’économie de loyer liée à la reprise d’un bail existant à des conditions contractuelles et financières (loyer en cours) plus avantageuses que les conditions actuelles (valeur locative de marché).
Le droit au bail est une somme d’argent versée par le nouveau preneur (le cessionnaire) au locataire précédent (le cédant) au moment de la cession du bail. Pour le locataire désireux de céder son bail, il s’agit de monnayer sa propriété commerciale, et tout particulièrement son bail dont le loyer, plafonné par la loi, est en général inférieur aux prix du marché.
Le droit au bail peut donc se résumer au « droit de céder le bail », c’est-à-dire la possibilité pour le titulaire d’un bail commercial de le céder à un tiers moyennant rémunération.
Le locataire bénéficie donc de la propriété commerciale qui comprend le droit au renouvellement du bail. Et c’est ce droit a qui en fait toute la valeur.
L’Article 1717 du Code civil, énonce en effet qu’en l’absence d’interdiction dans le bail, le locataire peut librement céder son droit au bail. Toutefois, les baux récents encadrent généralement la cession du bail et la soumettent à plusieurs conditions, dont la principale, celle de l’autorisation du bailleur.
Droit au bail et droit d’entrée
Il n’est pas inutile de rappeler que le droit au bail ne doit pas être confondu avec le droit d’entrée (ou pas de porte) parfois demandé par le bailleur lors d’une première location.
Hors emplacements exceptionnels, ce droit d’entrée est pratiqué sur des emplacements recherchés et le plus souvent par des propriétaires privés qui privilégieront la perception immédiate d’une somme d’argent, au détriment d’un loyer légèrement plus faible que la valeur locative de marché.
A ce titre, par un arrêt du 15 février 2019, le Conseil d‘Etat a affirmé que le droit d’entrée constituait un supplément de loyer et devait être soumis à la TVA, et ne constituait pas une indemnité destinée à dédommager le bailleur d’un préjudice résultant de la dépréciation de son patrimoine mais bien, comme le loyer, la contrepartie de la location (CE, 3ème et 8ème ch. réunies, 15/02/2019 n°410796).
A contrario, les bailleurs institutionnels préféreront un « loyer à l’américaine », c’est-à-dire un loyer fort, afin de valoriser au maximum leurs murs dès la prise d’effet du bail.
Le droit d’entrée peut également être demandé après avoir payé une indemnité conséquente pour évincer le locataire et le besoin de générer du « cash » dès la prise d’effet du bail avec le nouveau locataire, afin de couvrir en tout ou partie les frais d’indemnité d’éviction.
Cette pratique du droit d’entrée semble ne pas exister dans les autres pays européens et reste bien une particularité française.
Périmètre de pratique du droit au bail
La pratique du droit au bail est principalement constatée sur les locaux commerciaux de pied d’immeuble situés dans l’hypercentre ville des grandes agglomérations.
Les cessions de bail sur les centres commerciaux et « retail parks » se font de plus en plus rares. Ce constat est en grande partie lié au fait que les propriétaires bailleurs de ces actifs sont principalement des grandes foncières qui pratiquent des clauses de destination strictement limitées à l’activité de l’exploitant, laissant peu d’ouverture à leurs locataires pour céder leur bail. Dans le même sens, la plupart des baux prévoit une revalorisation du loyer en fin de bail, et les loyers sont souvent indexés sur le CA de l’enseigne (loyer clause-recette).
Quant au critère d’emplacement, on observe effectivement que la grande majorité des cessions de bail se situent sur des emplacements de centre-ville qualifiables de n°1 et 1 bis.
Quelques cessions sont néanmoins relevées hors centre-ville pour des locaux bénéficiant d’une visibilité privilégiée sur des grandes artères, pénétrantes, carrefours, situations d’angle…
Par conséquent il convient de retenir deux éléments essentiels pour que le locataire puisse prétendre monnayer la cession de son emplacement :
- Un emplacement prisé : en effet, même dans les cas d’économie de loyer quasi nulle, la rareté de l’emplacement préservera la valeur du droit au bail. Dans cette hypothèse, le terme « Valeur d’emplacement » parait mieux adapté.
- Un bail relativement ouvert dans sa clause de destination : plus le bail sera fermé et plus le nombre de prétendants au rachat du droit au bail sera réduit.
Une arme permet cependant d’ouvrir la destination du bail pour élargir le champ des repreneurs potentiels : la déspécialisation demandée au bailleur et dont le montant de l’indemnité lui reviendra.
Le droit au bail : une spécificité bien française
Le régime français des baux commerciaux reste une exception parmi les états membres de l’Union Européenne.
En effet, il est celui qui présente incontestablement le caractère le plus rigoureux et le moins libéral. Il pousse également le plus loin la protection du locataire en place, notamment pour ce qui concerne le droit au renouvellement du bail, facteur essentiel de stabilité pour le preneur.
En effet, aucun pays ne consacre, comme la France, un droit illimité au renouvellement, dont le preneur ne peut être privé qu’en cas de versement d’une indemnité d’éviction.
Aussi, la doctrine s’interroge sur le point de savoir si un régime aussi protecteur du preneur est encore compatible avec les contraintes liées au commerce européen.
Vers une disparition du droit au bail ?
- Une économie de loyer qui tend à diminuer
Les cessions de droit au bail se font de plus en plus rares et les économies de loyer moindres. En effet, les baux commerciaux rajeunissent, les clauses de destination de bail deviennent de plus en plus fermées, et les bailleurs privés de mieux en mieux conseillés.
Si l’on reprend les facteurs originels qui font la valeur d’un droit au bail : il y a certes la qualité de l’emplacement recherché (le terme « recherché » sous-entend l’effet rareté et a donc toute son importance) mais aussi et surtout l’économie de loyer résultante du rachat d’un bail « ancien » signé à une période où les loyers commerciaux étaient bien moins élevés qu’aujourd’hui.
Néanmoins, on remarque depuis plusieurs années un regain évident pour les centres-villes : amélioration des services de transports en commun, travaux d’aménagement urbain et de piétonisation, proximité des services, plaisir d’acheter etc…
Cela pourrait donc aller dans le sens de la progression des valeurs locatives (sauf cas exceptionnels où l’impact de nouveaux aménagements n’a pas aidé à la commercialité des rues) et donc des valeurs de droit au bail. Puisque, quand bien même le bail serait relativement récent, l’évènement exceptionnel d’aménagement peut être source de forte progression du chaland, donc du chiffre d’affaires, de la baisse du taux d’effort, et a fortiori de la progression des valeurs locatives de marché.
Il est donc à supposer que les baux signés aujourd’hui sont les baux « anciens » de demain, sous-entendu qu’ils pourront être cédés plus tard à des valeurs non négligeables ; et même si les loyers n’augmentaient pas autant que par le passé.
Quoi qu’il advienne, la valeur immuable du droit au bail restera toujours « l’emplacement, l’emplacement et encore l’emplacement » du local, qui préservera la liquidité et la valorisation du droit au bail pour le locataire.
- Proposer l’indemnité d’éviction et reprendre la main sur le bail
Un autre facteur de diminution des cessions de droit au bail est lié à l’accélération depuis quelques années des opérations d’éviction des locataires, afin d’aller chercher un loyer de marché.
En effet, même si le bailleur ne retrouvera pas immédiatement son équilibre financier, sans compter que bien souvent le montant de l’indemnité d’éviction est bien supérieur au droit d’entrée demandé sur la nouvelle location ; sur le long terme, repartir sur un loyer fort permettra au propriétaire de :
- reprendre la main sur son bail, en repartant sur des clauses contractuelles neuves et plus protectrices de ses intérêts,
- valoriser ses murs par simple capitalisation d’un loyer de marché et non d’un loyer qui n’aura fait que subir l’augmentation liée à l’indexation.
Exemple :
Le loyer effectif d’un local commercial de 80 m² est de 500 €/ m² pondéré/ an HT, HC.
Les taux de rendement constatés sur ce marché sont de l’ordre de 4%, soit une valeur de murs de 500 €/ 4% = 12 500 €/ m² x 80 m² pondéré = 1 M€ droits de mutation inclus
Après versement d’une indemnité d’éviction, le bailleur remet ce même local à la location à la valeur locative de marché (= loyer pur) sur un niveau de1 000 €/ m²/ an HT, HC.
La valeur des murs est alors de 1 000 €/ 4% = 25 000 € x 80 m² pondéré = 2 M€ droits de mutation inclus.
Ainsi, par cette opération le bailleur aura doublé la valeur de ses murs et peut être récupéré un droit d’entrée selon son besoin en capital, moyennant le paiement d’une indemnité d’éviction moindre que la plus-value apportée à la valeur des murs.
En bonus, l’indemnité d’éviction versée au locataire est une charge déductible de la base IFI du bailleur, si ce dernier est concerné par cet impôt.
- L’intervention du propriétaire bailleur
Il est aujourd’hui de plus en plus rare de constater la transmission du bail d’origine lors d’une cession de droit au bail. En effet, dans une grande majorité de cas s’opérera la signature d’un bail commercial « neuf » sous condition suspensive de la cession du droit au bail (et non l’inverse). En effet, la Cour de cassation a jugé que la cession de droit au bail sous condition suspensive de la signature d’un nouveau bail commercial était réputée non écrite en ce qu’elle porte sur un élément essentiel du contrat de cession (Cass. 3e civ. 22-10-2015, n° 14-20.096).
La signature d’un bail neuf va donc être l’occasion, pour le bailleur et son conseil, de renégocier un certain nombre de clauses.
A ce titre, une troisième partie est de plus en plus présente lors des cessions de droit au bail : le propriétaire bailleur, de moins en moins enclin à laisser passer l’occasion unique de la cession de bail et ne pas avoir droit à sa part, et ainsi profiter de cet évènement pour augmenter de loyer et renégocier les clauses du bail.
Peut-on alors encore évoquer le terme de cession de droit au bail lorsqu’il n’y a plus réellement de cession du bail existant, mais un retour à zéro avec renégociation d’un bail neuf, et de toutes ses clauses principales dont le loyer, via l’intervention du bailleur ?
En synthèse, la cession de droit au bail ne tendra pas à disparaitre mais à muter vers une autre forme de transaction, que l’on pourrait qualifier de « Cession d’emplacement ».
Or, à ce jour, nous savons valoriser un droit au bail lorsque celui-ci génère une économie de loyer, mais lorsque cette dernière est quasi nulle, valoriser uniquement l’emplacement s’avère beaucoup plus complexe.
Il faut aussi bien garder à l’esprit que la cession de droit au bail aura encore toute sa place indirectement au travers des cessions de fonds de commerce, pour ce qu’il en reste (restauration, bars et commerces alimentaires principalement – Cf. article de N. BUSSY).
- Rappel juridique & fiscal
La cession d’un droit au bail non-accompagnée de la cession de la clientèle ne relève pas de la loi HOGUET. Il faut comprendre que par opposition, la cession de fonds de commerce est quant à elle bien soumise à loi du 2 janvier 1970 qui réglemente les activités des professionnels de l’immobilier.
Le droit au bail est un élément incorporel du fonds de commerce et le matériel et mobilier ne sont pas inclus dans le droit au bail. Pour rappel, la cession de droit au bail ne peut être interdite dans le cas où elle accompagne la cession de fonds de commerce.
Pour le cédant, la cession du droit au bail génère une plus ou moins-value professionnelle, avec un régime fiscal différent selon que ce dernier est soumis à l’IR ou l’IS.
Attention, en cas de départ à la retraite de l’exploitant, la fiscalité sur la plus-value de cession est nulle.
Pour l’acquéreur, la cession de droit au bail ne supporte pas les mêmes droits de mutation que la vente de murs. L’acte de cession devra être enregistré auprès du Service des Impôts du lieu de situation des locaux dont le bail est cédé.
Barème des droits de mutation de cession de droit au bail
Il pourra être utile d’apporter cette information au client, lors d’une expertise de droit au bail dans le cadre d’une transaction, et ainsi préconiser une transaction légèrement en deçà des barèmes afin de faciliter les négociations.
Guillaume THERIEZ, MRICS
Président
VACHER Entreprise & Commerce
Spécialiste de la transaction commerciale à Bordeaux