La valorisation du droit au bail

L’évaluation du droit au bail (voir définition) est finalement un exercice relativement simple qui ne demande pas une grande technicité expertale, contrairement à d’autres méthodes plus complexes, comme la méthode hôtelière ou le compte à rebours promoteur ; mais l’appréhension des facteurs extérieurs menant à la valeur du droit au bail, s’avère, elle, beaucoup plus délicate.

En effet, un nombre important de facteurs extrinsèques (le marché et l’emplacement) comme intrinsèques (les clauses du bail et le règlement de copropriété) interagissent avec des degrés d’impact différents selon les situations rencontrées.

En pratique, la méthode la plus adaptée pour approcher la valeur d’un droit au bail reste la « méthode par comparaison ». Encore faut-il avoir une source de données exceptionnelle, non seulement des références de cession, mais aussi les caractéristiques des baux (clause de destination, prise d’effet du bail, mesures d’accompagnement…), afin de pouvoir comparer ce qui est comparable.

Ce sont le plus souvent les agents spécialisés en commerce qui bénéficient d’un vivier d’informations conséquent (parfois plus de 50 % des baux et cessions sur une même rue), qui pourront pratiquer cette méthode avec aisance.

Les Experts Fonciers devront aborder la valorisation du droit au bail de manière plus technique. La méthode du « coefficient d’emplacement », validée par la jurisprudence, est sans doute à ce jour la plus sûre. Elle devra cependant être recoupée avec d’autres approches, et plus particulièrement la méthode par comparaison.

D’autres méthodes, tels que dites « scientifiques », ou du « différentiel de loyer actualisé » existent. Par expérience, elles sont susceptibles de donner des résultats relativement approximatifs.

L’approche terrain de cet article est illustré, avec un exemple pratique dans lequel sera comparée la valeur obtenue par l’application de la méthode du coefficient au prix de cession constaté sur un local situé rue Sainte Catherine à Bordeaux.

Les éléments de valorisation du bail

1 – Modification des facteurs locaux de commercialité

Les bailleurs privés n’hésitent plus à engager des procédures de déplafonnement pour une « remise à niveau » de leurs loyers, sous plusieurs motifs comme principalement la modification des facteurs locaux de commercialité, dont la mise en œuvre est longue mais les chances de succès élevées (Cf. article de C. LOPES).

Il reste néanmoins bon nombre de baux qui passent au travers des « mailles du filet » et pour lesquels le loyer reste éloigné de la valeur locative de marché, et engendre de fait une valeur de droit au bail conséquente.

Lors d’une valorisation de droit au bail, la problématique devient donc la suivante : Comment appréhender la valeur d’un droit au bail sur lequel plane « l’épée de Damoclès » de la procédure de déplafonnement pour changement des facteurs locaux de commercialité ?

En effet, il peut y avoir plusieurs explications à cela : la « gestion paisible » d’un bailleur privé, la simple volonté du bailleur de ne pas affaiblir son locataire, le coût et la durée de la procédure face à l’incertitude d’obtenir gain de cause etc…

Ce problème se pose d’autant plus dans le contexte de la vente de murs propriété d’un bailleur privé en mode « gestion passive » à un bailleur professionnel en mode « gestion dynamique » en recherche de performance et de création de valeur.

Il conviendra donc d’être vigilant dans la prise en compte de ce facteur dans la valorisation du droit au bail.

2 – Loyer annuel et taux d’effort

Il est commun en matière commerciale, d’analyser les prix et les loyers en ratio : en € / m² / mois pour le marché locatif résidentiel, en € / m² / an pour le marché de l’immobilier professionnel, et même en € / m² pondéré / an pour l’immobilier commercial, avec à l’appui la Charte de l’Expertise en Evaluation Immobilière comme mode d’emploi, qui permet ainsi d’harmonier et de comparer les loyers commerciaux d’égal à égal.

Néanmoins, il semble nécessaire de se mettre à la place du preneur ou de son conseil, en l’occurrence l’enseigne, le commerçant indépendant, le franchisé, le développeur etc…, qui raisonnera d’abord en masse de loyer dans son « business plan » et en taux d’effort loyer / CA HT, plutôt qu’en ratio de loyer / m².

Autrement dit, quelle masse de charge annuelle représentera le loyer dans son budget annuel au-delà de toutes ses autres charges et investissements (salaires, achats et stocks, travaux, publicité & marketing etc…) ?

En effet, ce dernier analysera le loyer/ m² à titre de jauge afin de vérifier que le loyer du local commercial auquel il s’intéresse n’est pas déconnecté de ceux constatés sur le secteur. Mais son analyse et sa prise de décision s’opérera d’abord en loyer annuel.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que certaines rues n’ont pas la capacité en termes de chalands et de pouvoir d’achat de dépasser certains seuils de loyer annuel.

Exemple :

La valeur locative de marché d’un local commercial de 250 m² pondéré est estimée à 1 000 € /m² / an HT, HC, soit un loyer annuel de 250 K€ HT, HC (250 m² x 1 000 €/ m² pond.).

Après une analyse approfondie des loyers pratiqués sur cette rue en loyer annuel et non en ratio €/ m² pond., il s’avère qu’aucun loyer en cours n’excède 190 K€.

Il conviendra alors de vérifier si toute activité pratiquée sur ce local a la capacité d’absorber un excédent de loyer de 60 K€.

Le calcul de la valeur locative de marché limité au ratio/ m² indépendamment de la notion de loyer annuel maximum et de taux d’effort, peut donc être source d’erreur d’appréciation

3 – Clause de destination

La clause de destination telle que rédigée dans le bail est un facteur crucial dans la valorisation du droit au bail. Il conviendra de vérifier que celle-ci n’est pas abusive et qu’elle ne va pas en contradiction avec les activités non autorisées dans le règlement de copropriété, notamment celles de restauration.

A retenir

Lors d’une cession de bail pour motif de départ à la retraite du commerçant, le bail est automatiquement considéré comme « tout commerce ». Cela permet ainsi au cédant de toucher un éventail beaucoup plus large de repreneurs.

De manière générale, le bail avec une clause de destination « tout commerce » se fait rare ; on le retrouve sur des emplacements moins qualitatifs sur lesquels le preneur est en position de force de négocier cette clause. Nécessairement, la valeur des droits aux baux sur ces localisations sont moindres, voire nulles.

4 – Potentialités du local commercial

  • Possibilité technique

Si l’activité exercée dans le local n’est pas déjà liée à la restauration, il conviendra de vérifier si une gaine d’extraction est existante ou réalisable.

  • Possibilité d’extension future

Il peut arriver que le locataire en place n’exploite pas la totalité de la surface de vente autorisée par le bail, et que la surface de réserve offre un potentiel supplémentaire qui devra être pris en compte dans l’analyse de la surface du local, objet du droit au bail valorisé.

  • Le droit au renouvellement

Si l’expertise intervient dans un délai de moins de 3 ans avant le terme du bail, soit pendant la dernière triennale, il faudra conseiller le client sur le fait que le bailleur devra renoncer à tout refus de renouvellement lorsqu’il acceptera la cession de bail demandée par le cédant.

En effet, en l’absence de cette renonciation, le cessionnaire pourrait se voir interdit de tout droit au renouvellement de son bail acquis pour motif de non-exploitation du local pendant un délai minimum de 3 ans (difficulté de compréhension, préciser, il faut que je retrouve une référence juridique).

Il faut donc mémoriser que sans droit au renouvellement, il n’y a pas de valeur de droit au bail.

  • Date de retour à une valeur locative de marché

Obtenir une valeur locative de marché (ou loyer pur) reste de fait très théorique. Nous pouvons cependant retenir les contextes suivants :

  • la première location sur un local créé (opérations de réhabilitation de centre-ville, pied d’immeuble en VEFA (Vente en l’Etat Futur d’Achèvement) , nouveau centre commercial ou retail park…),
  • le congé sec du locataire et la relocation du local commercial,
  • le non renouvellement du bail avec versement d’une indemnité d’éviction et la relocation du local commercial.

Néanmoins, dans ces trois situations, le droit au bail n’a pas sa place puisque le propriétaire bénéficie d’un local vide et par conséquent de la liberté de définir son niveau de loyer (dans les contraintes du marché bien évidemment) et de demander ou non un droit d’entrée.

Lorsque la mission sera d’évaluer un droit au bail (sous-entendu un bail en cours avec un locataire en place), la date à laquelle s’opérera un retour à la valeur locative de marché restera donc la grande inconnue.

Quelques situations permettent néanmoins d’atteindre un loyer de renouvellement ou une valeur locative de marché et ainsi évaluer plus ou moins cet évènement dans le temps :

  • un bail ayant une durée contractuelle de > 9 ans,
  • un bail en tacite prorogation au-delà de 12 ans,
  • la modification des facteurs locaux de commercialité (Art L145-38 du Code de commerce),
  • la variation de + 25 % du loyer par le jeu de l’indexation (Art L145-39) en cas de clause d’échelle mobile et sauf si avenant venant modifier le bail,
  • la déspécialisation totale ou partielle des locaux acceptée par le propriétaire bailleur,
  • les travaux modifiant notablement les caractéristiques des lieux loués mais améliorant aussi notablement ces mêmes locaux, et ayant une incidence sur l’activité du locataire (déplafonnement au premier au second renouvellement selon que les travaux aient été financés par le bailleur ou le locataire)

LA VALORISATION DU DROIT AU BAIL

Nous retiendrons les deux méthodes suivantes :

  • celle dite du « coefficient d’emplacement » : la méthode des Experts Fonciers qui a fait ses preuves,
  • celle « par comparaison » : la méthode des praticiens de la cession du droit au bail, également utilisée par les Experts Fonciers à titre de recoupement.

Afin d’apporter un œil éclairé sur la méthode du « coefficient d’emplacement », un exemple réel d’une cession de droit au bail réalisée courant 2019, rue Sainte-Catherine à Bordeaux, est développé ci-après.

Méthode du « coefficient d’emplacement »

Son application est on ne peut plus simple :

  • en cas de plafonnement du loyer :

(valeur locative de marché – loyer en cours) x coefficient d’emplacement

  • en cas de déplafonnement de loyer :

(valeur locative de marché – loyer de renouvellement) x coefficient d’emplacement

Le coefficient d’emplacement ensuite appliqué au résultat obtenu par la soustraction de la valeur locative de marché au loyer en cours ou loyer de renouvellement est proportionnel au niveau de commercialité de la rue.

A partir de 1 000 € / m² / an HT (Hors Taxes), HC (Hors Charges), les niveaux de commercialité sont qualifiables de « fort » et « exceptionnel » et recherchés par les enseignes (voir tableau des coefficients ci-après).

Méthode « par comparaison »

Recouper le résultat obtenu par la méthode par comparaison est vivement recommandé.

Afin d’approcher au mieux la valeur locative de marché, les références de cession relevées peuvent être analysées par décapitalisation du droit au bail, selon l’exemple suivant :

VLM en € / m² / an = (loyer annuel à la date de la cession + 10 % de la valeur de cession de droit au bail) / la surface pondérée du local.